Religions and Local Society – Conference Report by Laura Boyer (French)

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Compte-rendu du colloque Religions et société locale dans des perspectives historiques, comparées et théoriques

Laura Boyer (doctorante à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales)
9 novembre 2022

 

Organisé par le réseau global Glorisun pour les études bouddhistes (Glorisun Global Network for Buddhist Studies) à l’Université de la Colombie-Britannique (UBC), avec le soutien du projet FROGBEAR, et le centre international d’études de civilisation chinoise et le département d’études religieuses de l’Université Fudan, le colloque bilingue (anglais-chinois) en ligne Religions and Local Society in the Historical, Comparative, and Theoretical Perspectives  en l’honneur du professeur Timothy Brook s’est tenu du 12 au 14 août 2022. Divisé en onze panels, le colloque a réuni quarante-deux intervenants d’Amérique du Nord, d’Asie et d’Europe.

 

Jour 1 

Le premier jour a débuté par un discours d’accueil donné par deux des organisateurs du colloque, Chen Jinhua (UBC) et Li Tiangang (Université Fudan). Puis le professeur Timothy Brook a donné une allocution qui portait sur la question du bouddhisme local, avec une réflexion autour de l’identité et de l’expérience locale du bouddhisme, et comment l’identifier et l’interpréter. En se basant sur trois lieux importants de pèlerinage du bouddhisme : Wutaishan (monastère Xiangyan), Wudangshan et Wushan, Timothy Brook a souligné que le bouddhisme semble être davantage un phénomène translocal qu’une expérience locale : les monographies mettent en avant des patronages, des moines célèbres ou encore des histoires mettant en scène des personnages qui ne sont pas locaux pour la grande majorité. Très peu d’éléments indiquent des informations sur la pratique locale de la religion, ou sur l’implication de la société locale dans la pratique religieuse, si ce n’est le nom des donateurs. Pour mieux comprendre le bouddhisme local, Timothy Brook a proposé de détourner notre regard des grands sites religieux, qui du fait de leur forte concentration de pèlerins venus d’ailleurs, ne peuvent que fausser l’expérience locale du religieux, mais plutôt de se tourner vers les petits sites, moins célèbres, où la pratique locale est sans doute plus significative.

Allocution de Timothy Brook.

Allocution de Timothy Brook.

 

Le premier panel du colloque a ensuite débuté. Intitulé Religious Battling and Blending : Interactions between the Indigenous & Imported (modératrice : Alison Bailey ; discutant : Timothy Brook), le panel s’est consacré aux différences et aux différends religieux en Chine, à travers trois présentations, données par Dai Lianbin (Université Victoria), Deng Qingping (Université chinoise des sciences politiques et du droit) et Thierry Meynard (Université Sun Yat-sen).

Rangée du haut : Alison Bailey, Dai Lianbin et Timothy Brook. Rangée du bas : Deng Qingping et Thierry Meynard

 

La présentation de Dai Lianbin portait sur la congrégation juive de Kaifeng, un groupe religieux juif et chinois qui a disparu au milieu du dix-neuvième siècle. La problématique de la présentation tournait autour de la question de la tolérance religieuse dont a bénéficié ce groupe religieux auprès de l’État chinois, notamment sous la dynastie Ming. Dai Lianbin a montré qu’il y avait eu un effort du groupe juif pour s’adapter aux coutumes de l’État chinois, en reprenant le culte d’État et en plaçant l’empereur au-dessus de leur dieu, mais aussi en se « sinisant » et en adoptant tous les codes des lettrés chinois. Il y avait également un effort de la part de l’État des Ming, notamment l’empereur Hongwu 洪武 (r. 1368–1398) pour adopter une attitude respectueuse des religions, en considérant les juifs de Kaifeng comme une communauté ethnique (zu 族) et non comme une religion (jiao 教).

Puis, la présentation de Deng Qingping s’est concentrée sur l’œuvre de Willem A. Grootaers (1911–1999), appelé He Dengsong 賀登崧 en chinois, membre de la congrégation missionnaire du Cœur Immaculé de Marie, et sur sa contribution dans le domaine des sciences humaines et religieuses en Chine. Considérant l’étude textuelle comme insuffisante, car ne tenant pas compte de la langue vivante et des coutumes locales, Grootaers avait introduit une nouvelle méthode de recherche dans les années 1930–1940, qui prônait la combinaison de la linguistique avec la géographie du folklore, appelée la « géographie linguistique ». Cette méthode de recherche supposait de mélanger l’enquête de terrain et l’étude des coutumes orales et rituelles pour avoir une meilleure compréhension des religions locales. Grootaers avait ainsi réalisé une géographie des dialectes et des coutumes locales, en menant des enquêtes dans plus de trois cents villages de Chine du Nord. En se basant sur les traces physiques (monuments, temples, statues, etc.) et les sources écrites et orales, il avait ainsi déterminé une structure spatiale des religions locales.

Enfin, Thierry Meynard a présenté la campagne anti-chrétienne de 1643–1644 à Chengdu. Il a ainsi souligné plusieurs points de discorde entre plusieurs types d’acteurs (moines bouddhistes, autorités locales de Chengdu, moines tibétains, etc.) en mettant surtout en évidence l’élaboration de la campagne en elle-même: son organisation très méthodique, le grand nombre d’individus mobilisés et la richesse des moyens employés (pamphlets, pétitions officielles, publication d’ouvrages, protestations publiques). Thierry Meynard est également revenu sur les diverses figures clés impliquées dans le conflit ainsi que sur la réponse du camp chrétien face à la campagne menée à leur encontre. Il a présenté ainsi un portrait complet de cette campagne assez méconnue par rapport aux premières campagnes anti-chrétiennes de 1615 et 1623.

Le deuxième panel, Media of/as Message: Shifting of Medias for Transmission of Buddhism  (modératrice : Wu Keping ; discutants : Sheng Kai et Eugene Wang) portait sur la question des moyens et des modalités de transmission des religions en Chine, à travers cinq présentations, données par Feng Guodong (Université du Zhejiang), Sun Qi (Université du Shandong), Yang Xiao (Académie Chinoise des Sciences Sociales), Zhang Xuesong (Université Renmin de Chine) et Le Jing (Université normale du Shaanxi).

Rangée du haut : Wu Keping, Sheng Kai et Eugene Wang. Rangée du milieu : Feng Guodong, Sun Qi et Yang Xiao. Rangée du bas : Zhang Xuesong et Le Jing.

 

La présentation de Feng Guodong avait pour sujet la composition de sūtras sous la dynastie des Song. La présentation visait à exposer la richesse des formes de composition: canon mural (bizang 壁藏), canon tournant (lunzang 輪藏), etc.; des moyens de compositions (écrites à la main ou imprimées); la diversité des lieux de composition mais aussi des acteurs impliqués dans les compositions. Il a mis en évidence le rôle très actif des lettrés confucéens dans les productions de sūtras, en soulignant leur enthousiasme et leur dévouement tout en mettant en lumière un paradoxe : ces lettrés ne se considéraient pas comme bouddhistes. Enfin, Feng Guodong a également fait remarquer la tension qui existait entre les partisans de la composition écrite et ceux en faveur de la transmission orale.

Puis, la présentation de Sun Qi visait à retracer l’histoire des grottes de Xuanwu dans le Hebei, devenu lieu de culte sous la dynastie Han, dédié à l’empereur Yao, avant de devenir un lieu prisé pour la construction de statues sous la dynastie des Tang, sous le patronage de la famille impériale. L’étude de Sun Qi a mis en valeur un lieu oublié par l’histoire et l’archéologie contemporaine. Disparues aujourd’hui, les grottes de Xuanwu ont laissé derrière elles près de trois cents inscriptions sur pierre, derniers vestiges de l’existence du lieu. Sun Qi nous a présenté un échantillon de ces inscriptions qui attestent et témoignent de l’histoire du lieu, des personnages impliqués dans la construction des statues, des temples qui se trouvaient à proximité du lieu, mais aussi de l’implication de la famille impériale de la dynastie des Tang dans la construction des grottes, qui ont fini par tomber en désuétude avec la chute de la dynastie Tang.

Ensuite, la présentation de Yang Xiao s’est concentrée sur les grottes bouddhistes du nord du Sichuan, creusées au début du septième siècle, et notamment les sites de Guangyuan, Mianyang et Bazhong, dont les niches et les images étaient de formes et de styles similaires. Son objectif était de replacer ces gravures dans le champ technique, artistique, religieux, et social du nord du Sichuan. Son étude a présenté un style artistique unique, issu de la rencontre entre la tradition artistique locale et antérieure au septième siècle de gravure sur pierre et de la tradition des gravures de grottes du nord de la Chine. Elle a ainsi mis en évidence un phénomène d’hybridation artistique unique aux grottes du nord du Sichuan. La présentation est également revenue sur le contexte géo-politico-religieux de la construction historique de ces sites, mise en place sous le patronage de fonctionnaires locaux, bien souvent originaires du nord de la Chine.

Puis, Zhang Xuesong s’est appuyé sur deux institutions pour montrer les liens de proximité entre les temples de Pékin et la société locale: les foyers de temples (miaohu 廟戶) et les garanties commerciales (pubao 鋪保). Les foyers de temples étaient une catégorie de foyer spécialement chargée de s’occuper de l’encens dans les temples. Ils bénéficiaient sous les Qing de certains privilèges et d’un statut héréditaire, toutefois comme l’a souligné Zhang Xuesong, le statut de ces foyers a décliné progressivement et a fini par se mélanger avec la communauté locale. Les garanties commerciales étaient des garanties que devaient fournir les temples de Pékin aux individus ou aux entreprises, pour assurer leurs démarches, et comme l’a fait remarquer Zhang Xuesong, c’était un système qui était devenu très répandu sous la République. Zhang Xuesong a ainsi affirmé que les relations entre les temples de Pékin (bouddhistes ou taoïstes) et la société locale sont devenues plus rapprochées vers la fin de la dynastie Qing et sous la République.

Enfin, dans la dernière présentation du panel, Le Jing nous a présenté le rituel de la vénération des sūtras (baijing 拜經) dans un village de Qianku à Wenzhou, en Chine actuelle. Le rituel consiste à réciter des sūtras qui vont venir s’inscrire sur du papier-argent (jinyinzhi 金銀紙), qui peut ensuite être brûlé en l’honneur des dieux, des ancêtres ou des esprits. Ce papier-argent, ainsi créé, devient un produit qui s’offre en cadeau ou bien s’échange contre de l’argent. Le papier-argent est ainsi non seulement un moyen matériel de communication avec les dieux et les ancêtres, mais également un produit qui permet de générer des revenus pour les personnes âgées du village. Le Jing fait remarquer que les temples où sont produits ce papier-argent deviennent ainsi des lieux de vie et de sociabilité pour la société locale.

Le premier jour s’est conclu à la fin du deuxième panel.

 

Jour 2 (1\2) 

Le deuxième jour a débuté avec l’introduction du troisième panel, Religious Battling and Blending: Negotiation between Buddhist & Non-Buddhist Imported (modératrice: Ma Xu; discutant: Shao Jiade), qui portait sur les importations religieuses bouddhistes et non bouddhistes, et ses formes plus ou moins conflictuelles. Quatre intervenants ont présenté leurs travaux: Rostislav Berezkin (Université Fudan), Xu Wei (Université Fudan), Kan Cheng-Tsung (Université Foguang) et enfin Wu Keping (Université Duke Kunshan).

Rangée du haut : Ma Xu, Shao Jiade et Rostislav Berezkin. Rangée du bas : Xu Wei, Kan Cheng-Tsung et Wu Keping.

 

La présentation de Rostislav Berezkin proposait quelques pistes de réflexion sur les possibles origines de la légende de Miaoshan 妙善, qui est apparue au onzième siècle et dont les origines demeurent incertaines. La légende de Miaoshan, considérée comme la réincarnation de Guanyin, est celle d’une princesse qui refuse de se marier pour se consacrer à la religion et qui sacrifie ses mains et ses yeux pour sauver son père. Rostislav Berezkin a souligné des parallèles entre la légende de Miaoshan et des contes issus des folklores européens (histoire du roi Lear, conte italien « Water and Salt »), ou avec des hagiographies de saintes chrétiennes (Sainte Barbara, Sainte Dymphna), ou encore avec un conte issu du folklore indien (Le Mari Serpent). L’étude a également mis en évidence l’utilisation de la légende à des fins prosélytes à la fin de la période impériale.

La présentation de Xu Wei portait sur le personnage de Wan Biao萬表 (1498–1556), un lettré et fonctionnaire de la période Jiaqing (1522–1566). Xu Wei a exposé en détails les diverses influences religieuses qui constituaient la pensée et rythmaient la vie de Wan Biao, en passant par ses études confucéennes, ses pratiques de cultivation mêlant alchimie taoïste et pratiques bouddhistes chan 禪宗, ou encore son engouement pour la médecine. La présentation a souligné ainsi tous les liens qu’entretenaient Wan Biao avec des cercles de lettrés, des religieux de plusieurs courants, son implication dans des activités charitables ou encore la profonde inquiétude du fonctionnaire vis-à-vis de sujets comme la maladie (notamment celle de sa mère) ou encore la vie courte.

Puis, la présentation de Kan Cheng-Tsung visait à étudier le processus de transformation du dernier temple du courant religieux Luo (Luojiao 羅教), de la branche Longhua, le hall d’abstinence Zhengxin (Zhengxin zhaitang 正心齋堂) en temple bouddhiste. Le temple est pour la première fois construit en 1892 par le marchand Xie Qi 謝乞 (1859–1909) à Jiayi et devient un temple bouddhiste en 1923. Kan Cheng-Tsung a mis en évidence le rôle des acteurs locaux dans cette transformation, comme le lettré Chen Tiangui 陳添貴 (1885–1959) qui, influencé par ses échanges avec des moines japonais du courant de la Terre pure, avait participé activement au processus de « bouddhification » (fojiaohua 佛教化) du temple.

Enfin, la présentation de Wu Keping portait sur le phénomène de déplacement des statues de divinités des temples détruits de Suzhou. Le nouveau plan urbain décidé en 1999, n’avait pas pris en compte l’espace religieux, et a eu pour conséquence la construction incontrôlée de « temples de transition » par la population locale. Pour répondre à la demande religieuse, la décision des autorités locales a été de construire de grands temples bouddhistes et taoïstes afin d’accueillir les divinités des temples détruits. Wu Keping a identifié trois types de récupération des statues. Le premier type consiste à récupérer les statues et à les garder groupées telles qu’elles l’étaient dans l’ancien temple. Le deuxième type consiste à récupérer les statues mais à les séparer et ainsi créer un nouvel agencement dans le nouveau temple. Enfin, le dernier type consiste à refaire les statues des divinités considérées comme légitimes tout en se débarrassant des statues des divinités jugées non-légitimes. Wu Keping a ainsi mis en évidence le grand pouvoir de décision des temples bouddhistes et taoïstes dans le choix des divinités qu’ils décident d’accueillir ou non. Ce processus de récupération des divinités est qualifié par Wu Keping de processus de « bouddhification » et de « taoïfication » de la religion locale.

Le quatrième panel, Temples as Fields of Power, (modératrice : Liu Cuilan ; discutant : Lu Yang) portait sur les temples en tant que lieux de pouvoir et en tant que centres locaux d’effervescence religieuse. Cinq intervenants ont présenté leurs travaux : Wei Bin (Université de Wuhan), Anna Sokolova (Université de Ghent), Mónika Kiss (Université d’Eötvös Loránd), Mariia Lepneva (Institut d’Études Orientales de l’Académie de Sciences de Russie) et Laura Boyer (École des Hautes Etudes en Sciences Sociales).

 

Rangée du haut : Liu Cuilan, Lu Yang et Wei Bin. Rangée du milieu : Anna Sokolova, Mónika Kiss et Mariia Lepneva. Rangée du bas : Laura Boyer.

 

La présentation de Wei Bin s’interrogeait sur l’origine du système unifié des temples bouddhistes de la dynastie Tang, en se posant notamment la question : à partir de quel moment les temples bouddhistes sont-ils devenus une institution étatique ? L’étude retrace l’histoire de la fondation des temples et monastères durant la période des dynasties du Nord et du Sud, où le bouddhisme avait été utilisé par les dynasties pour légitimer et renforcer leur pouvoir tout en faisant l’objet d’un strict contrôle politique. Ainsi, Wei Bin a mis en lumière la reprise par la dynastie Tang du modèle des dynasties des Wei de l’Est (534–550) et des Qi du Nord (550–557) qui ordonnaient la fondation de temples, dont les noms (dingguo 定國, i.e. stabiliser le pays) représentaient la volonté politique de ces États à perdurer, dans le contexte d’instabilité politique de la période. Wei Bin a également souligné une différence entre les temples du nord et du sud: le sud n’avait pas de temples qui étaient fondés à la demande des États, ni de système unifié et centralisé.

Puis, Anna Sokolova est revenue sur l’histoire de la transmission des Dharmaguptaka vinaya (Sifen lü 四分律), les règles de disciplines de la communauté des moines, en Chine. Elle a souligné notamment le rôle de Dao’an 道岸 (654–717) dans la transmission de ces vinaya du nord vers le sud de l’empire à la fin du septième siècle et au début du huitième siècle. En s’appuyant sur les biographies du Song gaoseng zhuan 宋高僧傳, elle a repéré les régions où se concentraient les moines spécialistes du Dharmaguptaka vinaya, mettant en évidence le rôle de la région de Kuaiji comme centre majeur dans le sud, au huitième siècle, de la transmission des vinaya. Elle a également mis en lumière le réseau monastique qui s’était mis en place à l’époque ainsi que ses liens avec la bureaucratie officielle de l’Etat des Tang.

Dans sa présentation, Mónika Kiss a exposé les divers problèmes auxquels sont confrontés les temples bouddhistes de l’école Nichirenshū 日蓮宗, qui vont de pair avec les problèmes de la société japonaise actuelle. Elle a identifié comme principaux problèmes : la démographie vieillissante du Japon, l’exode rural des jeunes Japonais, la chute du nombre de fidèles, les difficultés des temples à se financer ou encore les difficultés des moines à trouver des héritiers pour les remplacer. Mónika Kiss a mis en lumière les solutions trouvées par l’école Nichirenshu pour pallier ces problèmes au niveau de l’institution: aide humanitaire en cas de catastrophes naturelles, création d’un diplôme universitaire, présence sur les réseaux sociaux; et au niveau individuel : proposition de services rendus par les moines ou les nonnes, tels des « matchmaking events », des cours de yoga, des funérailles pour animaux de compagnie, etc. Mónika Kiss s’est interrogée toutefois sur la frontière entre le rôle religieux des moines et des nonnes et leur rôle de travailleur social.

Ensuite, la présentation de Mariia Lepneva s’est concentrée sur la montagne Baohua, en tant que centre des études de vinaya mais aussi en tant que haut lieu du bouddhisme au dix-huitième siècle. Elle a souligné ainsi toutes les caractéristiques d’une période d’effervescence religieuse: l’acquisition de terres, l’impression et la diffusion du canon bouddhiste, le patronage actif des empereurs Yongzheng et Qianlong, des princes mandchous et des fonctionnaires, la compilation de divers textes valorisants (monographie, généalogie, etc.) ou encore l’émergence du très influent moine Wenhai Fuju文海福聚 (1686–1765). L’étude a ainsi mis en avant la montagne Baohua comme un lieu important d’effervescence religieuse au dix-huitième siècle, remettant en question l’historiographie traditionnelle qui présente le dix-huitième siècle comme une période de déclin du bouddhisme.

Enfin, la présentation de Laura Boyer portait sur les rituels de libération des vies (fangsheng hui 放生會) de la région du Jiangnan et la manière dont la société locale parvenait à réguler les problèmes liés à l’organisation de ce type de rituel, en se basant sur les règlements de sociétés de libération des vies ou de lieux de libération de vies du seizième au vingtième siècles. L’étude visait à tenter de déterminer s’il existait des différences locales dans la manière de réguler les problèmes engendrés par les rituels de fangsheng (comment éviter l’inflation des prix des animaux ; ou les phénomènes de surchasse ou de surpêche; comment libérer les animaux sans générer de mauvais karma ; ou encore comment prendre soin des animaux). Les différences entre les règlements ne semblaient toutefois pas être d’une nature locale, puisque les règlements étaient tous, de près ou de loin, influencés par les règlements de Hangzhou, mais d’une nature chronologique, indiquant un changement dans les problèmes, les attentes, et les solutions des pratiquants du fangsheng au fil des siècles.

Le cinquième panel Printing for Power (modératrice : Mónika Kiss ; discutant : Barend ter Haar) portait sur les ouvrages imprimés comme moyens d’apprentissage de la doctrine et du rituel et comme moyen de rendre accessible les ouvrages religieux auprès des populations locales. Le panel était composé de trois présentations, données par Noga Ganany (Université de Cambridge), Zhang Dewei (Université Jinan) et Ma Xu (Lafayette College).

Rangée du haut : Mónika Kiss, Barend ter Haar et Noga Ganany. Rangée du bas : Zhang Dewei et Ma Xu.

 

La présentation de Noga Ganany portait sur les chushen zhuan 出身轉, « récits des origines ». Ce type de littérature, originaire du Jiangnan, retrace la vie d’une divinité avec un schéma narratif simple et très souvent identique dans les thèmes abordés (leitmotiv du thème de la subjugation des démons). Accompagné d’illustrations, le genre mélange langue vernaculaire et langue classique simple tout en combinant les éléments narratifs propres au genre romanesque (xiaoshuo 小說) à d’autres éléments issus d’autres types de littérature (textes doctrinaux, liturgiques, etc.). Noga Ganany a ainsi souligné que les chushen zhuan sont issus d’une sélection, d’un collage et d’une adaptation d’enseignements doctrinaux, qui mettent en avant une vision du monde propre à chaque chushen zhuan. L’étude a également mis en évidence le large public visé par ces « récits des origines », leur visée éducatrice mais également leur utilité dans la transmission de connaissances qui sont normalement inaccessibles sans intermédiaire.

Puis, la présentation de Zhang Dewei s’est concentrée sur la réception du grand canon bouddhiste (dazangjing 大藏經) au sein de la société locale de la période Ming-Qing et à la place que prenait le canon dans la vie quotidienne des populations locales. À travers l’étude de plusieurs pratiques relatives à la vénération du canon (récitation du canon, écriture du canon, festival du séchage du canon, les roues de prières, etc.), Zhang Dewei a mis en évidence comment ces diverses formes de vénération répondaient aux besoins de populations d’origines, de conditions et de genres différents, et a souligné ainsi la manière dont le canon est demeuré en vie parmi la communauté des moines et la communauté locale, c’est-à-dire en cultivant une capacité à créer du lien direct avec les populations locales.

Enfin, la présentation de Ma Xu portait sur le genre des encyclopédies de la vie quotidienne (riyong leishu日用類書). En étudiant leur rôle comme agent direct de communication entre les humains et dieux, Ma Xu a soutenu que ces encyclopédies, à travers leur impression et consommation accrue sous la période Ming, créaient de nouvelles expériences de lectures, transformant ainsi le champ social et religieux. Ces encyclopédies fonctionnaient comme des manuels visant à remplacer le prêtre professionnel lors des rituels, tandis que leurs images constituaient de véritables espaces religieux faisant office de visite dans un temple. En permettent également de reconnaître sur le visage de quelqu’un les signes d’une grande fortune, ces encyclopédies ont, d’après Ma Xu, permis de démocratiser les connaissances religieuses et les normes rituelles.

À la fin du cinquième panel, une pause de quelques heures a été marquée.

 

Jour 2 (2\2)

La deuxième session du deuxième jour a débuté par le sixième panel Identity Struggles (modérateur : Li Tiangang ; discutant : Deng Qingping) qui portait sur l’identité en crise des moines et des prêtres, à travers leurs stratégies de survie et leurs lignages. Le panel a réuni trois intervenants : He Jianming (Université Renmin de Chine), Liu Cuilan (Université de Pittsburgh) et Lee Kuei-Min (Université nationale Cheng Kung).

Rangée du haut : Li Tiangang, Deng Qingping et He Jianming. Rangée du bas : Liu Cuilan et Lee Kuei-Min.

 

La présentation de He Jianming s’est concentrée sur le système familial des taoïstes du courant Quanzhen à travers plusieurs exemples de prêtres taoïstes ayant fait le choix ou non de demeurer au sein de leur famille (zaijia 在家, i.e. se marier). He Jianming a exposé les stratégies de survie de ces prêtres ayant choisi de se marier, non pas par rejet des préceptes Quanzhen, mais afin de faire face aux changements socio-politiques tout en continuant leur pratique religieuse. Il a ainsi mis en évidence une adaptation consciente et réfléchie de ces prêtres pour se conformer à la société contemporaine, adaptation jugée inévitable, mais qui a entraîné en conséquence une profonde crise identitaire de ces individus et familles, qui ont eu l’impression de perdre une partie de leur tradition religieuse ancestrale. La non-reconnaissance par les autorités chinoises de l’appartenance au courant Quanzhen pour les prêtres mariés a également été l’un des facteurs qui a exacerbé la crise identitaire, puisque les prêtres Quanzhen mariés ne pas sont reconnus comme étant membres du courant Quanzhen.

Puis, la présentation de Liu Cuilan portait sur le phénomène des « moines meurtriers », et notamment le cas de trois individus, ayant commis un ou plusieurs meurtres et s’étant réfugiés dans des temples ou monastères pour y devenir moines, échappant ainsi à la condamnation de la justice, pendant un certain temps. Liu Cuilan a relié ces cas avec l’histoire de Lu Zhishen 鲁智深, un personnage fictif qui devient moine après avoir tué un boucher et qui échappe à la justice. S’agissant d’une histoire très répandue dans les années 1980, qu’on pouvait retrouver dans les manuels scolaires, les bandes dessinées ou encore les séries télévisées, Liu Cuilan considère que l’histoire de Lu Zhishen a très probablement été la source d’inspiration de ces « moines meurtriers ». L’étude a également mis en évidence la difficulté à reproduire ce genre de stratégie pour éviter les condamnations, en raison de l’avancement des technologies de reconnaissance faciale et de la difficulté de forger les nouveaux documents d’identité. Pour conclure, Liu Cuilan a supposé l’existence d’une volonté du gouvernement chinois de préserver l’image des bouddhistes, puisque les dossiers judiciaires des « moines meurtriers » n’ont pas été publiés en ligne.

Enfin, la présentation de Lee Kuei-Min s’est concentrée sur le courant chan au Vietnam. Il a étudié notamment les lignées de patriarches des diverses branches vietnamiennes du septième siècle, pour les lignées les plus anciennes, jusqu’à nos jours. Il s’est basé sur un corpus de biographies de moines, illustrées pour beaucoup. Lee Kuei-Min a ainsi exposé le lien évident de transmission du courant chan de la Chine vers le Vietnam en montrant comment les lignées vietnamiennes de diverses branches sont identiques, pour les premiers patriarches, aux lignées chinoises. Il a également mis en lumière le rôle des empereurs vietnamiens du treizième siècle et quatorzième siècle, qui ont également leur propre biographie de patriarche, dans le développement du bouddhisme chan au Vietnam.

Le septième panel Network Construction (modérateur: He Jianming; discutant: Rao Xiao) portait sur la construction de réseaux internationaux, à travers la littérature comparative, les lignages ou encore la transmission de livres. Trois intervenants ont présenté leurs travaux : Cao Jian (Université Sun Yat-sen), Marcus Bingenheimer (Université Temple) et Chien Kai-ting (Université Nationale de Taïwan).

Rangée du haut : He Jianming, Rao Xiao et Cao Jian. Rangée du bas : Marcus Bingenheimer et Chien Kai-ting.

 

La présentation de Cao Jian portait sur l’interprétation religieuse de la souffrance dans les sociétés antiques du Proche-Orient. L’étude s’est basée sur un corpus de textes bibliques, d’Égypte ancienne, de Mésopotamie et du Levant antique pour réaliser une comparaison sur plusieurs thèmes : le bien et le mal, la morale, la justice et l’injustice divine, la rétribution, etc., en s’interrogeant plus particulièrement sur la théodicée des différentes civilisations, en d’autres termes, comment les différentes civilisations parvenaient-elles à expliquer que les dieux puissent permettre l’existence du mal, qui apparaît comme un paradoxe.

Puis, la présentation de Marcus Bingenheimer s’est concentrée sur les réseaux de connexions des moines de la fin des Ming, à travers l’usage des humanités numériques, qui ont permis de mettre en évidence deux étapes dans la « renaissance » du bouddhisme à la fin des Ming (entre 1550 et 1650), composées de deux réseaux distincts. Le premier réseau, qui correspond à la première étape de cette « renaissance », se forme autour de moines dont la position est centrale dans les sources mais également sur la schématisation : Yunqi Zhuhong 雲棲袾宏 (1535–1615), Hanshan Deqing 憨山德清 (1546–1623), Zibo Zhenke 紫柏真可 (1543–1604), Ouyi Zhixu 蕅益智旭 (1599–1655) ou encore Xuelang Hong’en 雪浪洪恩 (1545–1608); comprenant également d’autres figures qui ont moins attiré l’attention des chercheurs, et qui sont mises en évidence grâce à la schématisation du réseau, Miaofeng Fudeng 妙峰福登 (1540–1612), Su’an Zhenjie 素庵真節 (1519–1593) ou encore l’impératrice douairière Cisheng 慈聖 (?–1614). Le deuxième réseau, qui correspond à la deuxième étape de renaissance du bouddhisme, est composé d’une figure centrale autour de laquelle gravitent tous les autres acteurs: Mingyun Yuanwu 密雲圓悟 (1567–1642), dont les enseignements ont attiré de nombreux disciples, formant ainsi un réseau de connexions et un lignage très étendu, qui s’est diffusé au Japon ou encore au Vietnam.

Enfin, la présentation de Chien Kai-ting portait sur les motivations derrière l’envoi d’ouvrages religieux du moine japonais du courant caodong 曹洞宗, Quanmiao Yuezhan 全苗月湛 ou Zenmyou Gettan (1728–1803) vers la Chine au milieu du dix-huitième siècle. La présentation a mis en lumière la manière dont Yuezhan, notamment à travers ses lectures de la collection Jiaxing zang 嘉興藏, s’est rendu compte de profondes contradictions entre les textes antérieurs à la dynastie Song et les textes qui lui sont postérieurs, qu’il considérait comme erronés. L’envoi d’ouvrages a ainsi été principalement motivé par le vœu d’étendre les enseignements du courant caodong à la Chine dans leur forme ancestrale.

Le huitième panel The Local vs the Cosmopolitan (modérateur : Dai Lianbin ; discutants : Benoit Vermander et Ma Xu) portait sur les influences religieuses, locales et internationales, sur les travaux de grandes figures intellectuelles ainsi que sur l’art religieux. Le panel était composé de quatre intervenants: Li Tiangang, Eugene Wang (Université Harvard), Yang Xiaojun (Musée de l’histoire de Shaanxi) et Feng Xiangjun (UBC).

Rangée du haut : Dai Lianbin, Benoit Vermander et Ma Xu. Rangée du milieu : Li Tiangang, Eugene Wang et Yang Xiaojun. Rangée du bas : Feng Xiangjun.

 

La présentation de Li Tiangang portait sur les travaux de Max Weber (1864–1920), et plus particulièrement sur les influences des autres sinologues sur ses travaux. En effet, Li Tiangang a mis en lumière le fait que Max Weber, au sujet des religions chinoises (et notamment le confucianisme et le taoïsme), a surtout été influencé par les travaux de deux autres sinologues, James Legge (1840–1873) et J.J.M. De Groot (1854–1921). Li Tiangang a ainsi fait remarquer que l’avantage des travaux de Weber est d’avoir bénéficié des travaux des deux sinologues, mais qu’il s’agit également de la limite de son œuvre, puisqu’il ne s’est pas appuyé sur d’autres sources secondaires en ce qui concerne le domaine des religions chinoises.

Ensuite, la présentation d’Eugene Wang s’est concentrée sur la figure de Tan Sitong 譚嗣同 (1865–1898), l’un des martyrs du mouvement de la réforme des cent jours. La présentation se concentre notamment sur les idées de Tan Sitong, en ce qui concerne la photographie, l’électricité et la conscience globale. S’inspirant des travaux d’Henry Wood (1834–1908), Tan considérait que la pensée se manifestait dans sa forme matérielle par l’électricité, rendant possible le voyage des idées et la connexion avec d’autres humains. La photographie était conçue comme un moyen matériel mais également idéal, un procédé de l’esprit, qui permettait d’abolir les frontières entre l’intérieur et l’extérieur et de ressentir la souffrance des autres. La cosmologie telle qu’il la concevait était largement inspirée non seulement des travaux modernes scientifiques mais également du bouddhisme et notamment de l’école Huayan.

Puis, la présentation de Yang Xiaojun portait sur le Tamamushi no zushi 玉虫厨子, un temple en miniature conservé au temple Hōryū au Japon. Yang Xiaojun a retracé l’histoire des échanges diplomatiques, religieux et culturel entre la Chine et le Japon au début du septième siècle, et l’influence de ces relations dans la conversion au bouddhisme de la famille impériale japonaise, et notamment du prince Shotoku 聖徳太子 (574–622). Elle a présenté des similarités esthétiques et thématiques entre le Tamamushi no zushi et les stūpas construits durant la période Renshou (601–605) de la dynastie Sui: en tout, cent-dix monuments au style lui-même issu d’une sinisation de l’art indien, soulignant ainsi une influence directe de la Chine dans l’élaboration du mini-temple.

Enfin, Feng Xiangjun a présenté l’école religieuse de Taigu (Taigu xuepai 太谷學派), une école ésotérique et néo-confucéenne, qui combinait des pratiques issues d’un « condominium » religieux (pratiques divinatoires, talismans, exorcisme, cultivation sexuelle, invisibilité, etc.). Fondée par Zhou Taizhu 周太谷 (1762–1832) à Yangzhou, l’école religieuse avait été, en 1866, déclarée comme « culte maléfique » par le gouvernement du Shandong, puis réprimée lors d’une expédition militaire. Discrète depuis, l’école était réapparue aux yeux du monde, lorsque Liu Dashan, le fils du romancier Liu E 劉鶚 (1857–1909), très célèbre pour son ouvrage Laocan youji 老殘遊記, avait révélé en 1939 que son père faisait partie de l’école de Taigu. Puis son petit-fils, Liu Huisun, en 1996, juste avant sa mort, a publié Les Rouleaux Perdus de Taigu, des documents dont on ignorait l’existence concrète, puisque les historiens pensaient jusqu’alors que l’école n’avait pas laissé d’écrits.

Le deuxième jour s’est conclu à la fin de ce panel.

 

Jour 3 (1\2)

Le troisième jour a débuté avec le neuvième panel The Central vs the Marginal (modératrice : Anna Sokolova ; discutants : Rostislav Berezkin et Zhang Dewei) qui portait sur les efforts pour mettre en lumière des figures, des textes, ou des événements et tentatives marginalisés ou peu connus. Cinq intervenants ont présenté leurs travaux: Ekaterina Skrypnik (Académie russe des Sciences), Yin Shoufu (UBC), Kirill Solonin (Université Renmin de Chine), Johanna Lidén (Université de Stockholm/Université de Hamburg) et Shao Jiade (Université de Nankin).

Rangée du haut : Anna Sokolova, Rostislav Berezkin et Zhang Dewei. Rangée du milieu : Ekaterina Skrypnik, Yin Shoufu et Kirill Solonin. Rangée du bas : Johanna Lidén et Shao Jiade.

 

La présentation de Ekaterina Skrypnik s’est concentrée sur la légitimation du pouvoir de l’impératrice régnante Wu Zetian 武則天 (r. 690–705), seule femme à avoir régné en Chine sous le titre d’empereur.  Dans les préfaces de manuscrits retrouvés à Dunhuang, comme le Sūtra du grand nuage (Dayunjing 大雲經) ou encore du Sūtra de la précieuse pluie (Baoyujing 寶雨經), l’impératrice régnante était tantôt identifiée comme bodhisattva, tantôt comme l’incarnation du bouddha Maitreya, ou encore comme empereur chakravartin (roi du dharma), avec l’idée que Wu Zetian aurait été une femme régnante descendue pour régner sur terre et y diffuser la loi bouddhique, justifiant ainsi son règne controversé.

L’étude de Yin Shoufu portait sur les documents officiels présents dans les romans de la période impériale tardive, en prenant pour exemple le cas du Xiyou ji 西遊記, et les informations qu’apportent ces documents officiels sur les relations politiques qu’entretiennent les personnages humains et non-humains et les royaumes, réels ou imaginaires, entre eux. Yin Shoufu a commencé par revenir sur les règles de mise en forme des documents officiels (mémoires, édits, etc.) sous la dynastie Ming et notamment sur la pratique du taitou 擡頭 (« élever la tête »), qui consistait à surélever d’un ou de deux degrés les caractères jugés importants, sacrés ou dignes de respect ; ou bien une autre déclinaison du taitou, la pratique du kongtai 空擡 (« élever par un espace »), qui consistait à laisser un espace devant un caractère digne de respect. En étudiant trois éditions différentes du Xiyou ji, Yin Shoufu a souligné les nuances dans les relations entre les personnages et la manière dont les différents éditeurs percevaient la hiérarchie dans le roman en se basant sur l’usage du taitou et du kongtai dans les documents officiels du récit.

Puis, la présentation de Kirill Solonin portait sur les traductions tangut du Sūtra de l’estrade (Tanjing 壇經), et principalement sur deux fragments du sutra, l’un venant de Dunhuang, composé de douze caractères par ligne (daté de la décennie 1070); et le deuxième conservé à la British Library, composé de dix-huit caractères par ligne. En comparant les deux manuscrits, il a mis en évidence l’existence de deux versions différentes en termes de contenu, de phonétique et d’orthographe. La présentation a ainsi souligné la présence de deux traductions indépendantes, qui manifestent vraisemblablement l’existence de traditions littéraires différentes, et par conséquent, de lignées, de communautés, et de pratiques bouddhistes différentes parmi les Tanguts de l’État Xi Xia.

Ensuite, Johanna Lidén a présenté les écrits de Liu Hengdian 劉恆典 (1809–1884), un enseignant du dix-neuvième siècle dans le Sichuan. Véritable manuel pédagogique, l’ouvrage « Mots d’un professeur d’école du village » (Cunxuejiu yu 村學究語) présente une rare perspective du point de vue d’un enseignant à propos de la philosophie éducative, de la pédagogie et de la conduite morale à adopter en tant qu’enseignant, afin de donner le meilleur des enseignements et le bon exemple aux élèves. L’ouvrage présente ainsi la tâche d’enseigner comme une tâche sacrée, visant à assister le Ciel, et basée sur la cultivation personnelle du professeur. Le professeur doit s’adapter au niveau des élèves, porter attention à ce que les plus grands élèves ne fassent pas de tort aux plus jeunes, tout en évitant les punitions corporelles, jugées dangereuses. En termes de pédagogie, l’enseignant doit privilégier la récitation à voix haute tout en respirant, de sorte que les textes atteignent le cœur des élèves, afin qu’ils s’en souviennent toute leur vie.

Enfin, la présentation de Shao Jiade portait sur les tentatives du gouvernement du Guomindang de réformer le bouddhisme à Nankin entre 1927 et 1949. Ces réformes sont passées par l’interdiction de certaines pratiques qualifiées de superstitieuses (divination, remèdes, écriture inspirée, etc.), la destruction de petits temples, un effort pour améliorer l’éducation des moines, le contrôle des ordinations des moines et des ressources des temples, la tentative de convertir les temples en écoles, l’occupation de temples par des troupes militaires ou d’autres institutions, etc. Shao Jiade a mis en évidence l’échec de toutes ces politiques réformatrices, même lors des périodes où la pression du gouvernement était la plus forte. La présentation a exposé diverses raisons à ces échecs: la résistance des moines, les officiers convertis au bouddhisme qui ont protégé l’institution, les temples bouddhistes qui étaient des institutions locales avec un pouvoir politique propre ou encore les divisions et les conflits d’intérêts entre l’administration locale et le parti central au pouvoir, qui ont permis au bouddhisme de survivre en temps de crise. Shao Jiade a ainsi mis en lumière une lutte entre les intérêts locaux et les intérêts du parti central autour de la question du bouddhisme, où les intérêts locaux ont fini par prévaloir.

Puis, le professeur Barend ter Haar a donné la deuxième allocution du colloque, qui portait sur une inscription sur stèle datée de 1314, du temple de Changxing, aujourd’hui disparu. L’inscription, gravée en sigillaire, témoigne de l’importance du texte mais également du temple, en tant que lieu de culte dévoué à la divinité Dongyue dadi 東嶽大帝, le grand empereur du pic de l’est, et de toute sa bureaucratie du monde des morts. L’inscription révèle la coopération entre divers groupes sociaux : fonctionnaires locaux, soldats, marchands et différents groupes religieux, dans la construction du temple de Changxing, témoignant ainsi d’un projet immense, qualifié par Barend ter Haar de « comparable à la construction d’une cathédrale en Occident ». Barend ter Haar a souligné que la construction de ce temple témoigne de la vivacité religieuse de la période Yuan, vivacité religieuse qui doit s’affranchir des étiquettes « bouddhistes » ou « taoïstes » qui ne font pas sens pour les acteurs historiques. L’analyse de Barend ter Haar est en contraste avec l’historiographie désignant la période Yuan comme une période de déclin du bouddhisme, en questionnant notamment ce que nos yeux d’acteurs contemporains qualifient de « bouddhisme », qui n’est en fait que la version officielle présentée dans les sources, mais qui n’est pas révélatrice de la réalité religieuse du terrain local et historique.

Allocution de Barend ter Haar.

 

À la fin de l’allocution, une pause de quelques heures a été marquée.

 

Jour 3 (2\2)

La dernière session du colloque a débuté par le dixième panel, “Conspiracies” between the Elite & Grassroots (modérateur : Kirill Solonin ; discustant : Wei Bin), qui portait sur les liens entre les élites locales et les temples locaux, y compris les moines ou les moniales. Le panel a réuni trois intervenants : Chen Yuh-Neu (Université nationale Cheng Kung), Sheng Kai (Université Tsinghua) et You Ziyong (Université normale de la capitale/UBC).

Rangée du haut : Kirill Solonin, Wei Bin et Zhang Dewei. Rangée du bas : Chen Yuh-Neu, Sheng Kai et You Ziyong.

 

La présentation de Chen Yuh-Neu s’est concentrée sur les femmes maîtres chan (nü chanshi 女禪師) pendant la période fin Ming-début Qing et sur les divers facteurs qui ont conduit leurs écrits, pour sept d’entre elles, à être référencées dans la collection du Jiaxing zang. Tout d’abord, Chen Yuh-Neu a souligné l’importance du lignage religieux : les femmes maîtres chan étaient toutes issues de deux importantes lignées : celles du maître Miyun Yuanwu ou celle du maître Yuanhu Miaoyong鴛湖妙用 (1587–1642), maîtres du courant Linji. Puis, la présentation a mis en évidence que l’inclusion des écrits des femmes maîtres chan dans le Jiaxing zang, outre le lignage religieux, dépendait de la parenté et de l’origine géographique : les sept femmes dont les écrits sont inclus dans le Jiaxing zang étaient en majorité issues de familles prestigieuses de lettrés-fonctionnaires et nées dans la région du Jiangnan (Jiangsu ou Zhejiang), région ouverte et propice à l’épanouissement des femmes moines. Chen Yuh-Neu a ainsi montré que l’influence de la parenté et les affinités locales ont joué sur l’inclusion des écrits de ces femmes maîtres chan dans la collection du Jiaxing zang. Ainsi, le changement de statut de ces femmes ne rompait pas les liens avec leur famille d’origine, mais au contraire élargissait les liens entre la communauté des moines et la communauté laïque.

Puis, la présentation de Sheng Kai portait sur le processus d’indépendance de l’école chan (chanzong 禪宗) par rapport à l’école vinaya (lüzong 律宗), à travers le système de cohabitation des deux courants au sein de mêmes temples durant la période Tang. Avant les règles de Baizhang (Baizhang qinggui 百丈清規), le courant chan, vivait dans des cours séparées (bieyuan 别院) du courant vinaya mais à l’intérieur de mêmes temples. Sheng Kai a rappelé la proximité et les similarités des deux écoles à travers les échanges entre Shen Xiu 神秀 (606–706), sixième patriarche de l’école chan du nord, et le disciple de Daoxuan, Wen Gang 文綱 (636–727) du courant vinaya, qui ont permis aux deux courants religieux, dans un premier temps, de coexister au sein de mêmes temples. Il a souligné toutefois le contraste entre la grande sévérité des règles du courant vinaya et la « liberté » du courant chan qui font que la conception de la vie et des pratiques de cultivation des deux courants a fini par entrer en collision et donner lieu, avec l’émergence de l’école chan du sud et de figures comme Baizhang Huaihai 百丈懷海 (749–814), à des discours promouvant de la séparation des deux courants au sein de temples différents.

Enfin, la présentation de You Ziyong s’est concentrée sur l’évolution dans le temps du statut du temple Shanquan 善權寺, un temple de Yixing dans le Jiangsu, entre le dixième  siècle et le treizième siècle. Il est d’abord temple chan, puis temple habilité à organiser des rituels de pluie, grâce à l’obtention d’un jiudoutan 九斗壇avant de devenir un temple familial d’accumulation de mérites du clan Fu (gongde yuan功德院), puis un temple taoïste, puis à nouveau temple d’accumulation de mérites du clan Li avant de redevenir un temple bouddhiste après la conquête mongole. You Ziyong a montré que ces évolutions dans le statut du temple allaient de pair avec l’évolution du contexte social et politique de la période, ainsi que l’influence des clans locaux sur le temple, qui se sont servis du temple à la fois comme d’une source de revenus et comme marqueur de leur influence.

Le onzième et dernier panel, Literary Links: Buddhist Monks and Literature (modératrice : Julia Orell ; discutant : Bruce Rusk) portait sur les liens entre moines et lettrés laïcs, notamment à travers la littérature et à travers l’adoption d’un nom dharmique. Le panel était composé de deux intervenants : Rao Xiao (Université de Caroline du Nord à Greensboro) et Wang Qiyuan (Université Fudan).

Rangée du haut : Julia Orell et Bruce Rusk. Rangée du bas : Rao Xiao et Wang Qiyuan.

 

La présentation de Rao Xiao portait sur les relations entre les moines bouddhistes et les courtisanes, à travers le prisme de la littérature vernaculaire et des poèmes du genre « amoureux ». En présentant plusieurs exemples, l’étude a mis en lumière dans les sources tantôt l’inquiétude morale autour de la relation entre les moines et les courtisanes, tantôt la volonté des lettrés de composer volontairement des poèmes frivoles autour de ce genre de relations. Rao Xiao a souligné que là où ces poèmes frivoles, sans connotation morale, étaient destinés à un public élitiste de lettrés instruits à la poésie du genre shi 詩, la littérature vernaculaire, destinée à un plus large public et qui faisait usage d’un autre genre de poème, du type ci 詞, était en revanche bien plus moralisatrice sur le sujet.

Dans la dernière présentation, Wang Qiyuan s’est concentré sur les noms dharmiques (faming 法名) adoptés par des laïcs à la fin des Ming. Ces noms dharmiques sont présents dans les écrits du maître Zibo Zhenke 紫柏真可 (1543–1604), qui est l’une des rares sources dans lesquelles on peut retrouver les noms dharmiques de personnes de statuts divers (disciples laïcs, grands lettrés, eunuques, etc.). Bien que ces noms n’apparaissent pas dans les sources écrites de la main de ces lettrés, Wang Qiyuan a mis en évidence que l’adoption d’un nom dharmique, considérée comme un élément à part entière de la cultivation religieuse, semblait avoir été une pratique assez commune parmi les cercles instruits de lettrés ainsi qu’au sein des eunuques de palais.

Le colloque s’est conclu par quelques mots de Chen Jinhua, remerciant les coordinatrices du colloque, Carol Lee et Vicky Baker, ainsi que les co-organisateurs du colloque Zhang Dewei et Li Tiangang, les invitant tous deux à prendre la parole. Puis, Chen Jinhua a repris la parole pour annoncer un projet de future publication des études présentées lors du colloque. Le colloque s’est terminé par quelques mots d’ouverture et de remerciements de Timothy Brook.

Photo de groupe du colloque.